Par Gérard GROLLEAU – Ornithologue
En 2017, un article intitulé « Un petit coin de paradis pour Hirondelles rustiques » est paru sur le site d’Yvelines Environnement (https://www.yvelines-environnement.org/nos-amies-les-hirondelles/ ). J’y présentais un lieu attractif et protégé, pour cette espèce, en fournissant quelques données sur le baguage de jeunes au nid et de leurs parents (une partie d’entre eux), dans le cadre d’un programme scientifique du « Centre de Recherche sur la Biologie des Populations d’Oiseaux » (CRBPO), service du Museum National d’Histoire Naturelle.
J’indiquais en particulier, à cette occasion, la baisse de 40% de la population francilienne entre 2004 et 2017, ainsi que la rareté d’une troisième couvée annuelle pour un couple et la difficulté d’élevage des jeunes dans ce cas de figure, en citant un échec constaté en août (les 4 jeunes morts au nid par insuffisance de nourriture).
Si la situation n’était pas glorieuse jusque-là, 2018 a été une année catastrophique pour cette espèce ainsi que pour d’autres. L’évaluation précise de la diminution n’a pas encore été donnée par le Museum (sur la base du programme STOC – Suivi Temporel des Oiseaux Communs), mais l’on peut dire sans exagération que les Hirondelles rustiques ont perdu 50% de leurs effectifs entre 2017 et le printemps 2018. Cette diminution brutale a touché également l’Hirondelle de fenêtre, le Martinet noir, la Bergeronnette printanière, le Busard cendré, etc…, toutes espèces allant hiverner au sud du Sahara pour la majorité de leurs effectifs.
L’hypothèse retenue comme cause de ces effondrements : les mauvaises conditions climatiques touchant le Sahara au mois de mars, au moment de la migration prénuptiale : vents puissants du nord et fortes tempêtes de sable. Des mortalités très importantes chez différentes espèces ont été constatées à cette période. Il faut dire que les Hirondelles et Bergeronnettes printanières migrent à faible altitude et ont été prises dans ces tempêtes de sable les empêchant non seulement d’avancer, mais les privant de nourriture, d’où une mort certaine. Cette hypothèse est un peu plus difficile à retenir pour le Martinet noir qui migre normalement à plus haute altitude, mais par fort vent contraire il est obligé lui aussi de voler plus près du sol.
En fait, on peut qualifier cette mortalité « anormale » de conséquence d’un accident climatique, lequel est venu aggraver une situation déjà catastrophique pour ces espèces : perte des sites de nidification, énorme diminution des insectes constituant leur nourriture, ceci sur les sites de reproduction de notre région, auxquels s’ajoutent les conditions, que nous connaissons mal, sur les sites d’hivernage en Afrique.
Dans l’ensemble, les Hirondelles rustiques sont arrivées ce printemps nettement plus tard que d’habitude, mais il existe des exceptions. Normalement, dans les Yvelines, les premières sont observées aux alentours du 25 mars, la majorité arrivant en avril. Cette année 2018, sur le site dont nous avons parlé en 2017, les premières ne sont apparues qu’à la mi-avril, comme un peu partout. Mais, dans un autre site que je suis depuis longtemps et qui n’héberge plus qu’un seul couple nichant dans le garage pour voiture au sous-sol d’un pavillon, ce dernier est arrivé précocement comme tous les ans, cette fois le 25 mars pour le mâle et le 26 pour la femelle. Ce site est situé à Civry-la-Forêt. La particularité de ce couple est d’avoir réussi à élever 3 nichées successives (il s’agissait bien des mêmes parents, contrôlés à chaque nichée).
Les deux Hirondelles ci-dessus avaient été baguées sur le site, le mâle en 2017, la femelle en 2016. Elles ont du d’avoir la vie sauve lors de leur migration, soit en ayant atteint le sud de la France (ou l’Espagne) avant les tempêtes de sable du Sahara, soit en ayant hiverné dans ce même sud (cas de plus en plus fréquent pour l’espèce) ou en Espagne, ce qui expliquerait leur arrivée précoce chaque année.
Par contre, sur le site des Essarts-le-Roi, nous n’avons pu capturer que 7 adultes, dont 6 dans le même filet le même jour, ce qui nous a empêchés d’identifier les couples et leurs nids respectifs, et aucun des 7 n’était bagué. Cela signifie que tous les adultes bagués les années précédentes avaient disparu. La durée moyenne de vie chez ces oiseaux est de 4 à 5 ans, avec quelques records de longévité de 11 et 13 ans, ce qui veut dire que les 5 à 6 couples habituels n’étaient pas tous morts de vieillesse. Les Hirondelles de ce site avaient probablement succombé lors de leur migration de retour.
Cette année 2018, j’ai pu suivre la totalité de la nidification sur les deux sites, toujours avec l’aide bienveillante de leurs propriétaires.
1/ LES ESSARTS – LE – ROI
En raison de la méfiance induite par la première capture de 6 adultes, les autres tentatives ont été des échecs, excepté un 7ème adulte. Tous les couples présents n’ont donc pu être capturés, d’où impossibilité d’affirmer que les deux nichées ayant été élevées successivement dans le nid 1 étaient des mêmes parents, ni quels couples avaient fait deux couvées.
Nous avons pu baguer 8 nichées (de premières et secondes couvées), 2 autres ayant disparu en cours d’élevage par probable prédation de rongeurs (suspicion de Lérots). L’une des 8 nichées a d’ailleurs été manifestement perturbée, 1 ou 2 jeunes étant tombés du nid à l’âge de 12-13 jours (remis rapidement au nid par le propriétaire des lieux), et finalement 1 a disparu et 1 second a été trouvé mort au sol ; sur 5 jeunes qui étaient nés, 3 seulement ont été bagués, à l’âge de 14 jours, se montrant très agités à ce moment-là, ce qui est inhabituel. Ils se sont envolés à l’âge de 20 jours.
Les 8 nichées ont donné à l’envol : 6/6, 5/5,3/4, 2/3, 4/4, 5/5, 3/5, 2/2, soit au total 30 jeunes pour 34 œufs (environ 88%). Avec les 2 nichées disparues, il y a eu 10 couvées constatées pour les 5 couples probables, ce qui signifie que tous ont fait 2 nichées, avec plus ou moins de succès. Malgré une mauvaise année, ce site a gardé toute son attractivité pour l’espèce, et tant mieux. A noter que 2 jeunes ont été trouvés morts plusieurs jours après l’envol, et ce au mois d’août ; la sécheresse sévissant depuis près de deux mois, d’où un manque d’eau et la raréfaction des insectes sont probablement la cause de cette mortalité.
Quand on sait que 70% de ces jeunes ne reviendront pas au printemps suivant (taux moyen de mortalité en année normale), on comprend qu’une mortalité accidentelle élevée des adultes met rapidement en péril les populations de l’espèce dans le contexte actuel.
2/ CIVRY – LA – FORÊT
Les adultes sont donc arrivés les 25 et 26 mars, prenant très rapidement possession de l’un de leurs anciens nids (le préféré) et le remettant en état.
+ 1ère couvée
Le premier œuf a été pondu le 14 avril et, à raison d’un œuf par jour, le 5éme pondu le 18 avril. 5 jeunes sont nés les 3 et 4 mai (la femelle couve en général 1 à 2 jours avant la fin de la ponte, ce qui fait que les derniers œufs éclosent 1 ou 2 jours plus tard que les autres) et se sont tous envolés le 23 mai.
+ 2ème couvée
Bien que les jeunes, après leur sortie du nid, soient encore nourris par les parents durant 10 à 12 jours à l’extérieur, revenant coucher dans le nid pendant une semaine environ, la femelle, après remise en état d’un second nid, a commencé sa deuxième ponte le 1er juin, avec encore 5 œufs dès le 5 juin, éclosion des 5 les 19 et 20 juin, puis envol de toute la nichée le 10 juillet.
+ 3ème couvée
Le couple a réinvesti le premier nid très rapidement, malgré le nourrissage extérieur des jeunes, et le premier œuf a été pondu le 16 juillet, ponte de 4 œufs cette fois (dernier le 19 juillet).Cette fois-ci, 2 poussins sont nés le 3 août, 1 le 4 et le dernier le 6 août ; cela signifie que la femelle, pour une raison à déterminer, a commencé à couver dès la ponte du deuxième œuf. Lors du baguage le 17 août, les 2 premiers avaient un développement du plumage de 14 jours, le troisième de 13 jours et le quatrième de 11 jours seulement. Manifestement ces poussins n’avaient pas le même développement corporel que leurs ainés des deux nichées précédentes, et le dernier avait des difficultés à se faire nourrir, les apports par les parents étant moins abondants et ses aînés, plus forts, étant servis en priorité.
Lors de l’envol, le petit dernier est d’ailleurs tombé au sol, incapable de voler, et il est mort.
La précocité d’arrivée de ce couple sur son site de nidification, la non nécessité de rebâtir un nid mais seulement de remettre en état l’un de ceux existants (3 nids), ont fait que la femelle a pondu au moment où les autres Hirondelles arrivaient seulement de migration. Second élément : le court espacement entre l’envol d’une nichée et le début de la ponte suivante, ce qui a permis une troisième ponte menée tant bien que mal à son terme.
Ce couple a donc produit 14 jeunes sur 14 œufs et en a mené 13 sur 14 à l’envol (environ 93%), ce qui est remarquable.
Il est connu depuis longtemps, grâce au baguage, que les jeunes des troisièmes couvées ont de faibles chances de survie lors des deux migrations postnuptiale et prénuptiale, ayant été moins bien nourries que ceux des premières couvées, et ayant eu moins de temps pour s’aguerrir avant de partir vers l’Afrique. Il en est de même pour les jeunes des deuxièmes couvées par rapport à ceux des premières, mais dans de plus faibles proportions.
Je rappelle que les petits insectes volants qui constituent la nourriture des Hirondelles et Martinets (d’autres espèces également), ce que l’on désigne comme « plancton aérien », sont le plus abondants en mai et juin, diminuant dès juillet et déclinant nettement en août. Ce phénomène est aggravé par la raréfaction globale des insectes (diminution de 70% depuis 20 – 25 ans) due principalement au large usage des insecticides depuis la fin des années 1950.
Il est donc remarquable qu’un couple d’Hirondelles rustiques ait réussi, en 2018, à mener à bien 3 nichées successives.
Heureusement qu’il existe encore des personnes qui aiment les Hirondelles et les tolèrent dans leurs bâtiments. Ceux-là protègent la biodiversité autrement que dans des discours. Merci à eux.